Un aperçu des principales modifications concernant la TVA : entretien avec Ine Lejeune

L’impôt que constitue la TVA change avec son temps. Ce domaine est donc en constante évolution, même en dehors des mesures prises suite à la crise de la COVID-19. Pour le spécialiste de la fiscalité, ne pas seulement voir l’arbre qui cache la forêt est un réel défi. Il est par conséquent grand temps de nous entretenir avec Ine Lejeune, avocate, spécialiste des litiges en matière de TVA, et auteure du Mémento T.V.A.

 

 

Quelles sont les nouveautés du Mémento T.V.A. 2020 ?

Ine Lejeune : Le Mémento T.V.A. 2020 reprend les grandes nouveautés :

  • L’introduction des mesures européennes visant à simplifier le régime des échanges intracommunautaires. Il s’agit de ce que l’on appelle les ‘Quick fixes’ :
    • le régime des stocks sous dépôt (article 12ter du code TVA et suivants)
    • la règle d’attribution du transport intracommunautaire lors des ventes en chaîne (article 14 § 5 du code TVA).
  • L’introduction du taux de 0 % pour les périodiques imprimés publiés au moins 48 fois par an, destinés au grand public, rédigés et composés sous la responsabilité finale d’une rédaction professionnelle composée de journalistes (entrée en vigueur le 1er avril 2019 ; AR numéro 20, Annexe, Tableau C, Rubrique I). Ce taux s’applique tant aux publications numériques qu’aux publications sur papier.
  • Les autres publications concernées par le taux de 6 % bénéficient également de ce taux, qu’elles soient éditées sur papier ou sous forme électronique, à partir du 1er avril 2019 (Tableau A, Rubrique XIX, AR numéro 20).
  • L’introduction du Code de perception et recouvrement ainsi que l’automatisation du titre exécutoire en matière de TVA. Ceci entraîne une modification importante de la procédure:
    • à partir du 1er avril 2019, en cas de défaut de paiement de la créance TVA, de la TVA, des intérêts, des amendes fiscales et des accessoires, la dette fiscale est reprise dans un registre de perception et recouvrement qui constitue le titre exécutoire pour le recouvrement de la créance TVA. Ceci doit être notifié au préalable à l’assujetti.
  • La possibilité de soumettre la location d’immeubles à la TVA.

Il y a en outre un afflux continu de nouvelles circulaires, d’arrêts et de jurisprudence belge et européenne. Ceux-ci sont également repris de manière concise s’ils s’avèrent utiles et sont au moins mentionnés.

 

 

 


Le Mémento T.V.A. donne un aperçu compréhensible des mécanismes importants du fonctionnement de la TVA en Belgique.

 

 

Le Mémento T.V.A. en est déjà à sa 24e édition cette année. Quelles sont les évolutions les plus importantes que vous avez constatées au fil des ans ?

Ine Lejeune : La première version date de 1996. À l’époque, l’Union européenne comptait 15 États membres. Le régime de la TVA était alors repris dans la sixième directive TVA qui, avec ses 38 articles, était très simple et clairement structurée. Au 31 décembre 1995, et pendant les 14 premières années, la Cour de justice avait statué sur 143 affaires relatives à la TVA. 24 éditions plus tard, l’Union européenne s’est élargie à 28 États membres et à partir du 1er janvier 2020 – en raison du Brexit – il reste 27 États membres.

La sixième directive a été à nouveau coordonnée par d’autres directives après un certain nombre de modifications. Cela s’est traduit par sa refonte par le biais de la Directive 2006/112/EG. L’objectif de cette refonte était de rendre le tout plus lisible, entraînant ainsi une restructuration des textes. Objectif qui, d’après moi, n’a malheureusement pas été atteint. La directive TVA compte désormais 414 articles. La structure et l’organisation de la directive TVA donnent lieu à des discussions sur les interprétations qui, je pense, y sont également liées.

 

"La directive TVA était censée être plus lisible, mais selon moi, ce n’est pas le cas."

L’inflation du nombre d’affaires traitées par la Cour de justice montre également que les litiges sont nombreux. Au cours des 24 dernières années, la Cour de justice a statué sur 880 affaires. Cela représente une moyenne de 37 cas par an. Durant les 14 premières années, le nombre moyen d’affaires TVA était de 10 par an. Et à la sortie de la 24e édition du Mémento, il restait encore 70 affaires en instance devant la Cour de justice. En 2019, la Cour a rendu 44 arrêts.

La Belgique est en retard par rapport aux autres États membres en matière de renvois devant la Cour de justice, même si les parties en font la demande. C’est en fait l’un des points que je traite dans ma thèse de doctorat.

 

"La Belgique est en retard par rapport aux autres États membres en matière de renvois devant la Cour de justice."

Ce qui également important dans la jurisprudence de la Cour de justice, c’est que, depuis la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, elle se prononce de plus en plus souvent – y compris dans le domaine de la TVA – sur les droits fondamentaux des contribuables et les aspects de procédure des litiges TVA.

Cette jurisprudence européenne est également traitée dans le Mémento TVA. Lorsque la législation ou l’interprétation belge ne lui correspond pas, c’est également mentionné. Le nombre de ces références augmente chaque année.

 

Outre la directive TVA évoquée ci-dessus, quels sont les autres sujets traités ?

Ine Lejeune : Par rapport à la première édition de 1996, l’impact de l’Union européenne est nettement plus important, et pas seulement en ce qui concerne la jurisprudence de la Cour de justice. Sur le plan législatif, nous disposons désormais aussi d’un Règlement d’exécution directement applicable. S’ajoutent à cela les commentaires administratifs ‘européens’. Les lignes directrices du comité TVA sont maintenant rendues publiques. Il y a également les notes explicatives de la Commission européenne, rédigées en concertation avec les États membres – souvent aussi après consultation d’experts en cas de nouvelles modifications importantes. La référence au Règlement d’exécution ainsi que les notes explicatives de la Commission européenne sont également reprises dans le Mémento T.V.A.

Durant cette période, à partir du 1er janvier 2010, le lieu de la prestation a également connu un changement important concernant les prestations fournies à un autre assujetti (business to business ou B2B) et celles destinées au consommateur (business to consumer ou B2C). Cela a entraîné une simplification majeure pour les services B2B. Cela saute aux yeux quand on regarde l’aperçu schématique permettant de déterminer le lieu de la prestation qui est repris dans le mémento.

Depuis le 1er janvier 2015, les services B2C de télécommunication, de radio et télévision ainsi que les services fournis par voie électronique ont également connu un changement très important avec la perception de la TVA – y compris au sein de l’Union européenne – sur le lieu de ‘consommation’ par le consommateur particulier.

Tout au long de cette période, on a pu constater que de très nombreuses discussions avaient lieu – y compris dans la jurisprudence de la Cour de justice – sur tout ce qui a trait aux exonérations de TVA pour les livraisons intracommunautaires de biens, mais aussi aux exonérations relatives, par exemple, aux prestations médicales (la Cour constitutionnelle a également statué sur cette question avec ‘l’aide’ de la Cour de justice), ou aux opérations financières et d’assurance, pour n’en citer que quelques-unes. Ces dernières font actuellement l’objet, pour la énième fois, d’une étude et d’un plan de la Commission européenne pour résoudre cette problématique.

En outre, peut aujourd’hui avoir lieu un audit TVA commun des différentes autorités fiscales dans les États membres de l’Union, en vertu du règlement de coopération administrative.

Enfin, comme je l’ai déjà dit, de plus en plus d’arrêts et de circulaires TVA font leur apparition.

Le ‘matériel de base’ ne cesse de s’accroître, tout comme l’étendue de ce que les lecteurs doivent savoir, et le Mémento T.V.A. devient de plus en plus épais. Si l’on compare le contenu de l’édition 2020 avec celui qui figurait également dans l’édition de l’an 2000, on constate une augmentation de 406 pages, soit 67 %.

 

«Peut-être est-il temps pour le nouveau ministre des finances de voir s’il est possible de mener une ‘Opération minceur’ pour raccourcir les commentaires et en simplifier le style ?»

Peut-être est-il temps pour le nouveau ministre des finances de voir s’il est possible de mener une ‘Opération minceur’ pour raccourcir les commentaires et en simplifier le style ? Bien souvent, élaguer apporte davantage de clarté : c’est le principe du ‘less is more’. Pourquoi ne pas jeter un œil à ce qu’ils font aux Pays-Bas, en Finlande, en Irlande ou au Royaume-Uni ?

Dans quelle mesure, selon vous, la crise de la COVID-19 marquera-t-elle la TVA ?

Ine Lejeune : Ce que cette crise sanitaire nous apprend, c’est que la TVA, en tant que taxe à la consommation, demeure une contribution importante au budget de l’État, car nous consommons toujours énormément, bien souvent par le biais de l’e-commerce. L’importance de la TVA sur le plan budgétaire est encore très souvent mal comprise lorsqu’on compare l’attention portée à la TVA à celle accordée à l’impôt des sociétés par exemple.

 

“L’importance de la TVA sur le plan budgétaire est encore très souvent mal comprise lorsqu’on compare l’attention portée à la TVA à celle accordée à l’impôt des sociétés par exemple.”

On voit aussi que le Gouvernement belge fait tout ce qui est en son pouvoir pour soumettre le matériel médical au taux zéro, comme dans d’autres pays. Il prend également des mesures pour reporter les délais de paiement et minimiser l’impact des obligations en matière de TVA sur les entreprises.

Quand on regarde les assouplissements dans certains pays, on se rend compte que les intérêts de retard de paiement de la TVA y sont nettement moins élevés qu’en Belgique par exemple, même avant la crise de la COVID-19. Chez nous, on applique toujours un intérêt mensuel de 0,8 % sur les retards de paiement. Il est urgent de l’adapter au taux d’intérêt du marché, à la lumière également de la jurisprudence de la Cour de justice.

Quels sont les développements essentiels prévus dans les années à venir ?

Ine Lejeune : Le principal changement pour l’année 2021 est qu’à partir du 1er juillet, de nouvelles règles s’appliqueront à l’e-commerce pour les biens importés de l’extérieur de l’Union. Pour l’e-commerce, la vente à distance de biens livrés depuis la Belgique jusqu’à 10 000 euros, la législation belge en matière de TVA reste d’application, sauf si le fournisseur en décide autrement.

En outre, la Commission européenne a élaboré un plan d’action en matière de fiscalité :

  • Elle souhaite que les décisions fiscales ne soient plus prises à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée.
  • Une proposition visant à modifier les taux de TVA est déjà sur la table du Conseil.
  • Les travaux sur l’introduction du régime de TVA définitif sont toujours en cours.
  • Elle s’efforcera de parvenir à l’uniformisation/standardisation des obligations de déclarations et à l’unification de l’immatriculation à la TVA.
  • Elle souhaite que les autorités fiscales utilisent davantage les moyens numériques et offrir des services supplémentaires aux contribuables.
  • Elle s’efforce d’étendre l’utilisation du guichet unique de TVA et de développer la facturation électronique.
  • Elle renforcera la capacité d’EUROFISC grâce à des échanges avec l’OLAF, Europol, les autorités douanières mais aussi les marchés financiers. En outre, il existe désormais un ‘Procureur’ européen.
  • Il est également nécessaire de renforcer le dialogue avec les partenaires internationaux. Dans le domaine de la TVA aussi, la Commission souhaite entamer un processus visant à conclure des accords de coopération administrative avec les pays tiers concernés, comme c’est déjà le cas entre l’Union européenne et la Norvège.

Enfin, la Commission souhaiterait également régler la question du grand nombre de litiges TVA. En 2022 ou 2023, elle entend proposer une initiative législative pour mettre au point un mécanisme à ce propos.

À propos de l’auteure

 

 

Ine Lejeune est avocate au barreau de Gand et administratrice de la SRL Ine Lejeune. Experte en T.V.A., ses domaines de prédilection sont la politique fiscale aux niveaux international, européen et belge ainsi que le reglement de contentieux et de procédures judiciaires en Belgique, devant les juridictions d’autres États membres (avec d’autres conseillers/avocats) et la Cour de justice de l’Union européenne. Elle a déposé des plaintes aupres de la Commission européenne, qui ont débouché sur des procédures d’infraction. Du 1er mai 2014 au 30 juin 2019, Ine a dirigé l’équipe « Tax Policy, Dispute Resolution and Litigation » de PwC Legal, en tant que « Partner ». A partir de 1984, elle a travaillé chez PwC Tax Advisors et est devenue « Partner » en 1996. Au sein de PwC, elle a, ensuite, administré le réseau T.V.A. européen, puis de 2002 a 2012, le « Global Indirect Taxes Network » et, de 2012 a 2014, la structure qui fournit des services aux institutions européennes. Elle a assumé personnellement la responsabilité de plus de 40 études réalisées pour la Commission européenne, l’OLAF et le Parlement européen. A Dubai, elle a conduit un projet portant sur l’introduction de la T.V.A. aux Émirats arabes unis. Elle a conseillé les autorités chinoises dans le cadre de la réforme de leur T.V.A. et a participé a la rédaction du « Unified VAT Agreement for The Cooperation Council for the Arab States of the Gulf ».

Elle a enseigné a l’UFSIA et donne cours a la Diplomatic Academy de la VUB. Depuis 2010, elle est professeur invité a l’Université de Vienne, pour le programme « LLM International Tax Law ». Elle intervient souvent comme oratrice dans des universités belges ou étrangeres et lors de conférences. De 2012 a septembre 2019, Ine a été membre du « VAT Expert Group » aupres de la Commission européenne. Elle est membre du « Consumption Tax Technical Advisory Group » de l’OCDE et de l’IFA.

Elle a écrit plus de 30 livres, des chapitres dans des ouvrages et plus de 100 contributions dans des revues professionnelles, belges et étrangeres. Elle est membre du comité de rédaction de l’« International VAT Monitor ». En 2009, elle a été élue « Taxman of the Year », notamment pour sa contribution a l’instauration de l’unité T.V.A. en Belgique. Elle compte parmi les 100 femmes qui figurent sur la liste « Recognising 100 Years of Women in Tax », établie par « The Women of IFA Network (WIN) » en 2019. Ine soutiendra sa these de doctorat sur la gestion des contentieux en matiere de T.V.A. dans l’UE. En 1996, elle a élaboré la premiere édition du Mémento T.V.A.

Découvrez le Mémento T.V.A.

 

 

 

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Le Mémento T.V.A. donne un aperçu compréhensible des mécanismes importants du fonctionnement de la TVA en Belgique.

 

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