Le Mémento Fiscal fête ses 45 ans cette année. Un tournant important, puisqu’au fil des ans, le Mémento Fiscal est devenu une véritable référence pour les fiscalistes. Dans cette interview, les auteurs Jacques Rousseaux et Bart Van den Bussche reviennent sur les défis de ces 45 dernières années et portent un regard vers l’avenir.
Quels ont été les changements importants intervenus dans la législation fiscale durant ces 45 dernières années et comment le Mémento Fiscal a-t-il reflété ces évolutions ?
Jacques : Les premières années du Mémento Fiscal ont été marquées par pas mal de remous, y compris en matière de fiscalité. En pleine crise pétrolière, des mesures fiscales ont été promulguées pour relancer l’économie belge. Songez par exemple à la loi Cooreman-De Clercq qui a permis d’activer l’épargne en Bourse. C’est aussi à cette époque qu’a été introduite la déduction pour investissement.
Bart : En août 1983, un régime d’imposition spécial a été introduit pour certains cadres étrangers. Le raisonnement était le suivant : on ne pouvait pas attirer des entreprises ou investissements internationaux sans qu’il soit intéressant pour des talents internationaux de venir travailler en Belgique. C’était lié à l’introduction de la réglementation fiscale de l’époque s’appliquant aux centres de coordination.
Jacques : Une autre étape importante est l’introduction du nouveau Code des impôts sur les revenus 1992 coordonné. Celui-ci avait pour but de simplifier les textes et d’en améliorer la clarté. Une affirmation à prendre bien sûr avec des pincettes.
Bart : En effet. Par exemple, dans la version néerlandaise le titre « Belasting der niet-verblijfhouders » a été modifié en « Belasting van niet-inwoners » (Impôt des non-résidents en français pour les deux). On a tenté ainsi de mettre un terme à une discrimination illicite des non-résidents. Ce sujet est régulièrement revenu sur le tapis. C’est un bon exemple illustrant la manière dont la législation européenne et la jurisprudence ont influencé l’évolution du Mémento.
Jacques : En 2007, les rulings ont fait leur apparition. Ils ont joué un rôle de plus en plus important dans la fiscalité.
Bart : Au fil des ans, nous avons été confrontés à de plus en plus de mesures fiscales ad hoc répondant aux doléances de certains groupes cibles ou groupes de pression. Cette prolifération de mesures n’est pas restée sans conséquences sur la déclaration d’impôts annuelle.
Jacques : Exact, la déclaration wallonne de 2024 compte 839 codes. En Flandre, on recense 833 codes. Soit une hausse de 25 % par rapport à 2009. À Bruxelles, 826. Comme on dit, il faut au moins avoir fait des études supérieures pour pouvoir remplir correctement sa propre déclaration. De plus, les nombreuses erreurs rencontrées dans ce qu’on appelle la Déclaration simplifiée que le fisc remplit pour vous, du moins en partie, ne simplifient pas vraiment les choses.
Quelles sont, selon vous, les questions fiscales les plus urgentes auxquelles les contribuables sont actuellement confrontés, et comment le Mémento Fiscal donne-t-il des informations ou apporte-t-il des solutions à cet égard ?
Bart : Je pense d’emblée à la pression fiscale élevée sur les revenus professionnels. Le régime fiscal est devenu ce point confus qu’un chat n’y retrouverait pas ses jeunes. Avec le Mémento Fiscal, nous tentons de donner des repères et de contribuer à plus de transparence. Nous nous concentrons sur la clarification de la législation en tant que telle. En dehors de cela, je pense que la sécurité juridique et un service de qualité sont également des thèmes importants pour les contribuables actuellement.
Jacques : C’est vrai. Jadis, quand il y avait une divergence d’opinions entre le contribuable et son contrôleur fiscal, on pouvait en discuter. Cela aura probablement donné lieu à certains abus ici et là, mais en règle générale, la décision qui tombait était celle souhaitée par le fisc. De nos jours, une telle discussion n’est plus possible. Tout doit se faire à distance, par e-mail - comme si le Covid était encore présent - et le contact est par conséquent impersonnel. La qualité du service fourni par l’administration fiscale ne s’est pas améliorée.
Pouvez-vous nous donner un aperçu du processus d'élaboration du Mémento Fiscal ? Comment collectez-vous les informations et déterminez-vous le contenu pertinent à reprendre ?
Bart : Bien que je n’aie repris le relais de Christiaan Moeskops en tant que co-auteur qu’en 2023, je ne pense pas que le processus ait changé au fil des ans. Nous prenons toujours le Moniteur belge comme point de départ obligé. Nous dressons ainsi la liste exhaustive de la législation nouvelle. Nous incluons également dans l’aperçu les nouveaux avis et circulaires publiés au Moniteur belge.
Jacques : Ce qui est important, c’est que nous reprenons uniquement la législation en vigueur et publiée. Ainsi les mesures temporaires relatives au Covid-19 ont été retirées. Dans le cas d’autres législations, les délais de contrôle habituels sont souvent un fil conducteur pour retirer la législation du Mémento. Vous ne retrouverez pas l’intégralité du Moniteur ; une sélection est opérée en fonction de ce qui est pertinent pour le lecteur.
Quels sont, d’après vous, les principaux défis d’une actualisation du Mémento Fiscal et comment les relevez-vous ?
Jacques : Principalement, le tsunami qu’est la législation. Il suffit de regarder l’évolution du nombre de pages du Mémento Fiscal. Il y a 45 ans, c’était un vrai livre de poche de 85 pages. Aujourd’hui, c’est un mastodonte de quasi 800 pages qu’on ne peut plus glisser dans la poche de sa veste. La cause n’en est pas seulement la réglementation européenne dans un monde de plus en plus complexe, mais aussi la législation régionale, résultat du transfert des compétences fiscales aux régions.
Bart :Le défi consiste aussi à voir comment nous pouvons conserver une structure et notre sélection claires pour les lecteurs. Cela demande une concertation et un travail très minutieux.
Comment envisagez-vous l’avenir de la législation fiscale et qu’est-ce cela implique pour les futures éditions ?
Bart : Il est clair qu’une réforme fiscale est nécessaire. La réduction des coûts salariaux doit être financée, ce qui offre la possibilité de s’attaquer au bric-à-brac monumental du système fiscal belge. Une nouvelle mini-réforme serait néfaste, des réformes approfondies s’imposent. Un système fiscal simple, équitable et clair doit permettre d’exécuter et redistribuer efficacement les tâches essentielles et de mener une politique efficace. Dans la foulée, nous espérons que notre ouvrage retrouvera le format d’un vrai livre de poche.
Pour conclure, qu’espérez-vous que les lecteurs réaliseront ou comprendront après avoir utilisé le Mémento Fiscal ?
Jacques : Le Mémento Fiscal est encore souvent consulté par des lecteurs professionnels. Alors qu’autrefois, il était surtout utilisé comme aide-mémoire, lorsqu’il n’y avait pas encore Internet ou le wifi, aujourd’hui, nous apportons essentiellement de la structure et de la clarté dans une matière fiscale complexe en constante évolution. En outre, si je regarde, peut-être avec un brin de nostalgie, ma collection de mémentos, j’ai aussi une belle portion d’histoire fiscale à portée de main.
Portrait des auteurs
Jacques Rousseaux et Bart Van den Bussche
Jacques Rousseaux est le fondateur et l'auteur-coordinateur du Mémento Fiscal depuis 1978. En tant qu'ancien CEO du Groupe Crédit Agricole, ancien chef de cabinet adjoint du Ministre des Finances, ancien Directeur général au Ministère des Finances et ancien membre du Conseil Supérieur des Finances, il a accumulé de vastes connaissances dans le domaine de la fiscalité.
Jacques Rousseaux a également été administrateur indépendant de plusieurs sociétés, entre autres dans les secteurs de l'assurance, de l'immobilier et de la construction. Il est membre du Conseil d'administration de Guberna.
Bart Van den Bussche est Director chez PwC et dirige l'équipe qui conseille les clients en matière des impôts sur le revenu des personnes physiques et des rémunérations. Il est titulaire d'une licence en économie appliquée de la KU Leuven ainsi que d'une licence en fiscalité et est reconnu comme conseiller fiscal externe.
Bart Van den Bussche a débuté sa carrière chez PwC en 2005 en se concentrant sur l'impôt sur le revenu des personnes physiques et les aspects fiscaux de l'emploi international, avant de se spécialiser dans les aspects fiscaux de la rémunération (rémunération des cadres et des administrateurs, rémunération liée aux actions et techniques de rémunération variable). Il est régulièrement invité à partager son expertise lors de séminaires ou de formations en fiscalité.